L’auteur

La question de l’auteur est essentielle car elle détermine le sens et la valeur scientifique du document, en même temps qu’elle mesure si l’engagement de la revue à publier des travaux missionnaires est bien respecté. Mais encore faut-il préciser son rôle : vers 1858, la Géographie universelle de Malte-Brun distingue l’auteur, le dessinateur-graveur-colorieur et l’imprimeur. L’auteur reste celui qui a dressé la carte, choisissant son échelle, ses dimensions, son contenu, son sujet. D’après le principe des Missions catholiques, c’est un missionnaire et ses cartes des documents originaux. Selon leur intérêt, elle décide de les faire graver pour les publier en s’adressant à des spécialistes, de simples graveurs aux dessinateurs-géographes plus habilités à ce genre de tâche. Sur les 230 cartes du corpus, 60 portent le nom d’un missionnaire, ou, plus rarement, d’un prélat, 15 d’un laïc. Si le nom figure sur la totalité des cartes durant la première décennie, la signature n’est plus systématique après 1885 et seuls les documents rapportant les voyages les plus inédits ont leur auteur identifié. Nommer l’auteur est une manière d’authentifier la carte et le nom de l’évangélisateur accorde un crédit à son travail ainsi qu’à la revue. A partir de 1914, la revue dresse ses propres croquis pour illustrer quelques lettres, à l’aide des connaissances géographiques qu’elle a amassées sur la mission. Ils ne sont plus l’œuvre d’un missionnaire mais traitent toujours de la mission et figurent tous dans le recensement final de la table des matières, chaque année.

Les auteurs peuvent se répartir en deux catégories selon le rôle qu’ils occupent et le sens qu’ils accordent à leur carte. Tout d’abord, il s’agit du missionnaire qui, au retour d’un voyage, dresse la carte de l’itinéraire qu’il a suivi. L’autre, dans un souci de compilation, réalise une carte à l’aide de nombreux documents qui synthétise plusieurs itinéraires. Installé à la résidence de la mission ou bien parfois dans la bibliothèque de la congrégation, en Europe, il dresse l’image la plus récente de la mission. Ce rôle est souvent assuré dans chaque institut par l’archiviste bibliothécaire, fonction qui apparaît à la fin du XIXè quand les congrégations rationalisent leur organisation. Bénéficiant des lettres et des cartes que lui adressent régulièrement ses confrères sur le terrain, il illustre précisément avec ce travail cartographique, la centralisation des informations. Le premier cas donne une carte très personnelle et ponctuelle de la mission qui implique une lecture linéaire et subjective. Réalisée à chaud après un voyage d’exploration à l’arrivée du missionnaire ou pour installer une nouvelle station, ou bien encore après une tournée d’inspection, elle témoigne d’un déplacement dans une partie du territoire. Au contraire, le second aboutit à une carte d’ensemble, générale, qui résume les dernières connaissances de la mission que le lecteur peut parcourir librement.

Il serait tentant de distinguer le missionnaire-explorateur sur le terrain du missionnaire-bibliothécaire à l’arrière qui, en véritable géographe de cabinet, compile les informations brutes que lui adresse le premier. Cette distinction est très nette à l’époque dans la Marine. Selon Hélène Blais, qui étudie les voyages de circumnavigation, une compétition oppose voyageurs et savants pour savoir lesquels ont le plus d’autorité pour bâtir la carte123. Les officiers de marine doivent fournir des documents bruts aux hommes de science en prenant soin de ne jamais interpréter ce qu’ils ont relevé, car les géographes de cabinet ne leur accordent aucune caution et réclament pour eux seuls la capacité à dresser la carte définitive. La carte est un « enjeu de pouvoir » entre officiers et savants, entre l’observation et la science. A tous, elle permet d’affirmer une certaine maîtrise de l’espace.

Pourtant, ce problème de légitimité ne semble pas être le cas pour l’Eglise en mission. Les missionnaires en Afrique font progresser les connaissances géographiques qu’ils fixent sur des cartes et qu’ils communiquent rapidement à leur congrégation. Ainsi, le plus apte à cartographier est celui qui connaît le mieux l’espace couvert : le prêtre dans sa station pour une carte ponctuelle et partielle, le responsable de la mission pour une carte présentant la totalité de la mission, l’archiviste-bibliothécaire pour une carte générale couvrant un ou plusieurs champs d’apostolat. Les Missions catholiques ne contestent jamais l’autorité du missionnaire, recherchant au contraire son originalité ; son caractère inédit devient en quelque sorte la « marque de fabrique ». C’est pourquoi, pour obtenir une carte compilant les renseignements les plus récents et les plus fiables sur une mission, la revue s’adresse systématiquement à la congrégation dont elle en a reçu la direction par Rome. En revanche, elle se réserve la capacité d’élaborer un document qui couvre plusieurs champs de mission.

C’est précisément le cas des cartes-primes qui apparaissent dans le tableau ci-joint en 6è colonne. La revue synthétise plusieurs sources pour donner une image panoramique et non partisane de l’évangélisation.

Tableau 10 : Répartition des cartes des MC par congrégation, 1873-1914
Missionnaires
du St-Esprit
CSSp
Missionnaires
d’Alger
PB
Missionnaires de Lyon
SMA
Jésuites

SJ
Autres Missions
Catholiques
Auteur non-missionnaire Total
75 20 15 8 11 7 15 151

Le début du tableau confirme la forte représentation des missionnaires spiritains dans les cartes publiées, soit plus d’un document sur deux quand il est de source missionnaire125.(cf : Gallas (V.A.) , Shire , Kikouyou , Madagascar ) La congrégation du St-Esprit et du St-Cœur de Marie est la plus représentée en Afrique, en terme de mission confiée ainsi que d’effectifs déployés ; elle pourvoit majoritairement la revue par ses correspondances. Les bilans réguliers de l’évangélisation de l’Afrique rappellent la prééminence de l’ordre de Libermann sur les autres. De plus, les missionnaires du St-Esprit ont pris l’habitude de faire connaître très régulièrement l’avancée de l’apostolat dans toutes leurs missions. En plus des bilans annuels, ils adressent de nombreuses lettres illustrées de dessins, cartes puis photographies. Le mot d’ordre est passé : il faut faire le plus de publicité possible et se servir de la revue des Missions catholiques pour financer la mission. Chaque Supérieur rappelle le souci de recourir à l’Œuvre de la Propagation de la Foi qui apprécie particulièrement ce type de correspondance. Ainsi, chaque nouvelle mission à ses débuts fait l’objet d’une relation, d’un descriptif, qui engage les lecteurs à l’encourager.

Si toutes les congrégations présentes sur le sol africain contribuent à la revue, celle-ci privilégie pour sa version française les documents francophones portant exclusivement sur des missions tenues par des missionnaires français126.(cf : Kikouyou  ) Enfin, certaines disposent de publications propres ou utilisent d’autres moyens de diffusion127.

Notes
123.

BLAIS Hélène, « Qui dresse les cartes ? La controverse entre savants et voyageurs au XIXè » in Le monde des cartes, n°175, mars 2003, pp.25-29. L’auteur distingue tout d’abord les officiers de marine, partis en expédition, ils établissent des relevés que les savants de l’Académie des sciences doivent transformer en carte. Entre eux apparaît une nouvelle catégorie dépendante du ministère de la Marine, celle des ingénieurs hydrographes : ils cumulent leur présence sur les lieux en participant aux expéditions et une aptitude à cartographier, ce qui les désigne comme les plus compétents pour ce travail.

124.

La répartition ne recense que les 151 cartes parues dans Les Missions catholiques entre les débuts et 1914, c’est-à-dire avant les croquis de petit format dressés par la revue elle-même. Celle-ci réalise aussi les cartes-primes en synthétisant les informations provenant de sources différentes. De même, elle publie quelques cartes historiques ou vantant la colonisation, sans être de source missionnaire.

125.

La représentation des documents spiritains atteint 59 % du total. Outre les grandes congrégations présentes en Afrique que sont les Pères Blancs, la Société des Missions africaines et les Jésuites, d’autres ont au moins adressé un document à la revue qui l’a publié. C’est le cas du Lazariste Coulbeaux avec une carte de l’ « Abyssinie », MC-1898-439, des Pères de Vérone avec un document sur le « Soudan oriental », MC-1901-303, la Société du sacré cœur de Saint-Quentin avec une carte de la « Mission des Falls », MC-1903-341, du capucin Mgr Jarosseau et la carte des «  Gallas (V.A.) », MC-1904-29, ou encore du RP Winnen de la Compagnie de Marie avec le document sur le «  Shire   », MC 1906-346. Le RP Perlo, membre de l’Institut de la consolata de Turin communique la carte du «  Kikouyou   », MC-1908-210, et les missionnaires de la Salette celle de leur mission à «  Madagascar  », MC-1909-293.

126.

Quelques exceptions existent, comme la carte du «  Kikouyou   », MC-1908-210, du francophile RP Perlo, missionnaire de l’ Institut de la Consolata de Turin. 

127.

Pour les seuls Pères Blancs par exemple paraît dès 1884 la revue Grands lacs ou les Missions d’Afrique des Pères Blancs dès l’année suivante. Les Jésuites du Zambèze utilisent la revue belge Les Précis historiques dès 1878, ou encore The Zambesi Mission Record.