Les dimensions

Les dimensions de la carte sont déterminées par la taille du document original, mais aussi par la place que la publication veut bien lui accorder dans sa mise en page. Cette place devrait s’évaluer, comme l’a proposé Jean Pirotte, en terme d’occupation de l’espace visuel128. Les dimensions témoignent de l’intérêt qu’on prête au document cartographique ou iconographique en général, par rapport au texte. Elles traduisent une valeur de la carte.

Les premières cartes sont de grandes dimensions. Ainsi, par respect pour leur auteur ou par souci de lisibilité parfois, elles sont proposées pliées, placées en hors-texte dans la revue129.(cf : Zaïre )Après 1877, elles entrent dans sa pagination et se plient au cadre du périodique, qui reste inchangé de ses débuts à la nouvelle série en 1951130. Seules les cartes-primes envoyées aux souscripteurs conservent des dimensions importantes, ce qui en fait des cartes d’exposition. En effet, détachées du périodique, elles traitent d’un sujet qui n’est pas forcément abordé par ses articles. Ces cartes possèdent une existence indépendante qui les destine souvent à être présentées, exposées et parcourues par plusieurs personnes. Ainsi, pour une carte habituelle, son format optimal qui mobiliserait toute la surface d’une page du périodique est de 25 cm de large pour 20 de haut en mode « paysage », l’inverse en mode « portrait ». Les cartes les plus fréquentes sont proches de ces valeurs, avec un format de 24 par 18 cm. Elles donnent l’impression de s’affranchir du texte, de se suffire à elles-mêmes. D’ailleurs, leur accès direct par la consultation de la table des matières en fait des documents indépendants, sans qu’il soit nécessaire de lire la relation qu’elles accompagnent.

Les dimensions moyennes des 250 cartes publiées par la revue sont d’environ 16 cm de large par 15 cm de haut, soit la forme approchant un carré. Cette moyenne est évidemment à nuancer car pratiquement aucun document ne lui correspond. Elle est le résultat d’une somme qui ne distingue pas les cartes en mode paysage de celles en mode portrait, pratiquement aussi nombreuses dans le corpus. Elle ne nous renseigne donc pas sur les dimensions d’une éventuelle « carte type ». En revanche, l’évolution de cette moyenne par décennie présente quelques informations.

Tableau 11 : Les dimensions des cartes publiées dans les MC (années 1870-1940)
Tableau 11 : Les dimensions des cartes publiées dans les MC (années 1870-1940)

Les dimensions des documents cartographiques diminuent au cours de la période. La première décennie est encore marquée par les cartes hors-texte dont le format dépasse largement celui de la revue131. (cf : Porto Novo   , Mission de Sénégambie   )Celle des années 1880 présente la situation idéale d’une carte occupant toute la page. Le format se réduit nettement ensuite et les cartes pleine page, plus rares, sont réservées à des documents inédits sur des missions peu connues par exemple132.(cf : Kilimandjaro  , Pays Eshira   , Gallas (V.A.)   , Stanley-Falls Oubangui-Chari   ) Les dimensions s’abaissent durant les années 1890 avec la publication des petits croquis du RP Le Roy rapportés d’un voyage au Zanguebar anglais. Les informations y sont peu nombreuses car l’espace représenté, une ville ou une contrée, est de petite taille. Mais leur caractère insolite mérite de les compter dans la revue. Ainsi les noms de Malindi, Monbasa, Pemba, trois localités de l’Afrique orientale anglaise, pratiquement inconnues en France, prennent naissance dans l’imaginaire des lecteurs133. La technique est ensuite appliquée à d’autres lieux134. Le soin qu’Alexandre Le Roy apporte à ses cartes, mais surtout à ses dessins, le regard unique et très moderne qu’il porte sur les peuples et les régions qu’il traverse en font un correspondant très apprécié de la revue qui n’hésite pas à promettre, en début d’année, de ses nouvelles dans les numéros à venir. Le Roy est un correspondant recherché et admiré. Il signe un tiers des 75 cartes adressées par la congrégation spiritaine entre 1873 et 1914135. Il impose un style de représentation cartographique et personne ne conteste ses « cartons ». Dorénavant, de petits croquis pourront accompagner les lettres, dans un but d’illustration, sans toutefois nécessiter la pleine page136.(cf : Aire de dispersion des négrilles   , Négrille d’Afrique et négritos d’Asie , Races d’Afrique   ) Le Roy apporte aussi un cadrage particulier avec des cartes circulaires qu’il appliquera au Zanguebar puis au Gabon où il se rend après 1894, une fois devenu v.ap.137.(cf : Routes de l’Afrique orientale   , Estuaire du Gabon   ) Il utilise l’effet loupe ou jumelle que recherche ce type de représentation dont les dimensions varient de 9 à 12 cm de diamètre138 : l’endroit ressemble alors à une curiosité sur laquelle il paraît intéressant de se pencher139. Le Roy joue sur les modes de représentation pour mettre en scène lieux et personnages qu’il rencontre, sans oublier de préciser leur localisation140.

En général, ce recours au croquis d’illustration devient une habitude après 1900 comme le montre le récit du RP Hermann au Bénin accompagné par deux cartons qui précèdent sa carte d’ensemble141. Cette présence des cartons rapproche finalement la revue des autres périodiques de géographie, grand public comme le Tour du Monde, ou scientifique comme Le Bulletin de la Société de géographie, qui utilisent dès que possible la représentation spatiale, surtout quand elle comporte un sens voire une explication. Ces cartons encadrent le texte et sont assujettis à sa lecture. Une technique éditoriale vise aussi à les éparpiller dans le numéro, en les dissociant du texte qu’ils illustrent, comme elle se pratique avec les images ou les photos. Ainsi, il n’est pas rare de trouver une photo du Congo dans un sujet sur l’Arménie, comme une image du Saskatchewan parmi les lettres de Cochinchine ; le cheminement du lecteur est guidé par une note de bas de page l’invitant à consulter plus loin ou plus avant le carton. Cette répartition offre différentes façons de parcourir la revue. En proposant au lecteur de porter son regard sur d’autres missions, la revue insiste sur son véritable message : quelque soit l’endroit sur terre, la mission est bien vivace, il faut l’aider ! La multiplication de sujets provenant du monde entier et respectant une certaine universalité relève de la même démarche. Ces deux tailles de carte, auxquelles il faut ajouter celle plus grande des cartes-primes, témoignent d’un choix qui s’impose dorénavant aux responsables de la revue.

Ensuite, le rétrécissement des cartes continue, surtout durant la première guerre mondiale où plus d’une carte sur deux ne dépasse pas 10 cm sur 10. Les coûts d’impression et les difficultés générales expliquent sans doute la miniaturisation. Mais la cartographie a surtout changé d’aspect calligraphique : les toponymes sont en majuscules, parfois en caractères plus épais ou gras, se résumant à quelques noms : celui de la mission, de sa résidence principale et de deux ou trois éléments naturels. Cette nouvelle présentation s’applique à plusieurs missions. Elle relève donc des services de la revue qui veut rappeler, à moindre frais par un croquis facilement réalisé, quelques indications géographiques. Cette cartographie lyonnaise prend donc la forme de cartons, de petite taille, rapidement consultés, mais considérés comme des cartes à part entière car ils figurent toujours dans la table des matières de chaque volume annuel. Cette cartographie pratique et économique contribue à uniformiser la représentation des missions142.(cf : Ounyanyembe , Linzolo , Oubangui  )

Avec la fin de la première guerre mondiale, les documents cartographiques retrouvent leurs dimensions, à de rares exceptions près143 et renouent avec le format optimal redevenu la norme. Les cartons présentant des croquis de petite dimension sont définitivement abandonnés et la carte a retrouvé son statut, celui d’un document à part entière qui peut se suffire à lui même en occupant une page entière. La revue a abandonné la cartographie miniaturisée qui fait le succès des autres revues de géographie pour se concentrer sur ce qui a assuré son attrait au départ : des cartes inédites portant sur des missions peu connues des lecteurs. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la reprise en 1933 de la carte du RP Augouard sur le Congo de 1882144. (cf : Congo  )

La question des dimensions d’une carte pose forcément celle de leur contenu. Ainsi, le recours aux cartons dès les années 1890 laisserait envisager que les cartes publiées par les Missions catholiques perdent de leur intérêt et ne nécessitent plus une place aussi grande. Cela signifie aussi que certains missionnaires ont pris conscience de la valeur marchande de leurs travaux qu’ils espèrent monnayer dans une publication différente de l’Œuvre de la Propagation de la Foi. La comparaison de quelques documents sur la période cherche à établir le rapport entre la densité de la carte et ses dimensions.

Tableau 13 : Le contenu de quelques cartes rapporté à leur taille dans les MC
Nom Date Echelle Dimensions
(cm)
Nombre de toponymes Rapport
toponyme/dm2
Loango et Congo 1875 1/2.000.000è 18x26 68 14
Zanguebar 1884 1/1.500.000è 18x12 80 37
Ségou à Tombouctou 1895 1/3.600.000è 13x13 40 23
Nigeria 1903 1/3.000.000è 14x14 82 42
Cameroun 1916 1/15.000.000è 11x9 30 30

La diminution de la taille des cartes ne s’accompagne pas forcément d’un appauvrissement de leur contenu toponymique. La densité d’information oscille le plus souvent entre 10 et 50 noms par dm2. En revanche, l’originalité des toponymes diminue à mesure que baisse l’échelle, car ils sont tous connus. C’est le propre des cartons des années 1900 qui rapportent des noms déjà évoqués, là où les cartes à grande échelle présentent des noms nouveaux et inconnus.

Notes
128.

PIROTTE Jean, Périodiques missionnaires belges d’expression française ; reflets de cinquante années d’évolution d’une mentalité (1899-1940), Louvain, Publications Universitaires de Louvain, 1973, 429 p.

129.

La carte du «  Zaïre  », MC-1877-195 est la première carte de l’Afrique paginée de la revue, dans le n° 411.

130.

Le nouveau périodique publié en janvier 1951 présente un format rétréci de 16 cm de large pour 24 de haut. En 1940, il connaissait déjà une réduction du nombre de pages et devenait mensuel, sous l’effet d’un décret pris le 27 mai.

131.

Dimensions des Cartes de «  Porto Novo   », MC-1873-HT : 42x26 cm ; du « Cordofan et pays des Noubas », MC-1874-HT : 36x40 cm ; de la «  Mission de Sénégambie   », MC-1877-HT : 60x45 cm.

132.

Ainsi «  Kilimandjaro   », MC-1892-370 ; «  Pays Eshira   », MC-1894-609 ; « Abyssinie », MC-1898-439 ; «  Gallas (V.A.)   », MC-1904-29 ; « Benin (V.A.) », MC-1906-537 ; «  Stanley-Falls   », MC-1907-491 ; «  Oubangui-Chari   », MC-1931-103.

133.

« Malindi », MC-1890-605 ; « Monbasa », MC-1890-616 ; « Pemba », MC-1890-617.

134.

« Diego-Suarez », MC-1891-182 ; « Gassi », MC-1892-416.

135.

Le décompte des croquis et dessins, qui reste à établir, est encore plus élogieux. Sur Alexandre Le Roy, voir DUCOL Bernard, Mgr Alexandre Le Roy, 1854-1938 ; l’histoire au risque de la biographie, Mémoire de DEA d’histoire religieuse, Université Lyon II, année 2001-2002.

137.

«  Routes de l’Afrique orientale   », MC-1886-527 ; «  Estuaire du Gabon   », MC-1894-347.

138.

Le même effet est recherché par un dessin du missionnaire dont le sujet est un nid d’oiseau, dessiné lors de son voyage au Zanguebar. « Au Zanguebar anglais », MC, en 17 épisodes, 1890, p.487.

139.

La pratique s’exerce avec d’autres cartes circulaires et portant toutes sur des lieux de l’Afrique orientale : « Aden », MC-1885-117 ; « Kilmandjaro et Kenya », MC-1889-69 ; « Madagascar septentrional », MC-1907-127 ; « Kaffa », MC-1907-515 ; « Madagascar partiel », MC-1917-31.

140.

Les voyages au Zanguebar sont l’occasion de nombreux essais. En 1887, un dessin de Monbasa consacre une partie du ciel à un carton circulaire qui précise le site exceptionnel de la ville, in Missions catholiques p.529.En 1889, pour accompagner « la situation politique au Zanguebar », que présentent les Missions catholiques dans leur n°1031, une page résume les images prises à Zanzibar : des habitants appartenant aux quatre communautés de l’île, des hommes libres et des esclaves, le portrait d’un dirigeant local, une vue des environs et une carte centrale qui rappelle la position des bâtiments importants de la ville. Le dessin localise sans imposer un point de vue scientifique.

141.

Deux cartons d’« Ijebou », MC-1906-327 sont proposés avant la carte générale de la mission du « Bénin », MC-1906-537.

142.

«  Ounyanyembe  », MC-1914-616 ; «  Linzolo   », MC-1915-34 ; « Tanganyka », MC-1915-145 ; «  Oubangui   », MC-1915-554 ; « Madagascar-Nord », MC 1916-452.

143.

« Côte d’Ivoire », MC-1921-57 et « Cameroun », MC-1925-192 sont les dernières cartes dont les dimensions sont inférieures à 10 cm sur 10.

144.

«  Congo  », MC-1933-496.

145.

Des cartes de dates, d’endroit et d’auteurs différents ont été choisies. Elles présentaient néanmoins presque toutes un canevas de type quadrillage qui facilitait le dénombrement. Surtout, leur taille s’approchait de la moyenne décennale.