Recenser et cartographier

Le recensement statistique

Le missionnaire doit rendre des comptes sur l’état de sa mission. Pour cela, il dresse des rapports statistiques qu’il transmet à différents organismes : l’Œuvre de la Propagation de la Foi, la Propagande et sa propre congrégation

- Les rapports transmis à l’Œuvre de la Propagation de la Foi

La Propagation de la Foi soumet à chaque mission institutionnelle, c’est-à-dire un V.A., une P.A. ou une simple Mission, un formulaire à remplir chaque année par le responsable (Cf. Annexe 10 : état de la mission adressé à l'Œuvre ). Le document invite à renseigner l’état général de la mission par des statistiques où figurent, côte à côte, les objectifs et les moyens. Catholiques, hérétiques et infidèles sont comparés au clergé composé des missionnaires étrangers et des prêtres indigènes. Les réalisations concrètes suivent avec le nombre d’églises, de chapelles et de séminaires. Une large partie permet de développer les évènements de l’année écoulée qui, pris en considération par le Conseil de l’Œuvre, contribueront à augmenter l’aide allouée à la mission. Au verso, un bilan encourage le missionnaire à se comporter en gestionnaire : il doit comparer les dépenses aux ressources dont il dispose, en évoquant les réalisations projetées. Ce rapport, qui reste inchangé dans sa forme et son contenu des années 1870 à 1922, date du transfert de l’Œuvre à Rome, constitue la seule contrepartie exigée par la Propagation de la Foi à l’allocation qu’elle attribue. Il impose le mode de fonctionnement entrepreneurial de l’organisation lyonnaise au monde de la mission. C’est l’incursion, dans l’évangélisation, d’une gestion rationnelle et économique. L’Eglise n’a plus les moyens ni le temps de gaspiller ses forces. Le temps des martyrs, héros morts pour leur foi, est révolu. Il faut penser la mission comme une entreprise pour la rendre la plus efficace possible. C’est cet état d’esprit qui accueille favorablement tous les plans d’évangélisation, considérés comme les fruits d’une réflexion sur les meilleurs moyens à adopter.

Comme le contexte est aux statistiques, cette radiographie de la mission se traduit par de longues séries de chiffres, qui chaque année sont censées tout résumer : les progrès, les obstacles et les concurrences ainsi que les moyens engagés. Il est difficile d’évaluer la part de vrai dans ces séries statistiques. Comme le but de chaque rapport vise à obtenir le plus possible de l’Œuvre, les exagérations ainsi que les silences sont nombreux, à commencer par les autres ressources dont dispose chaque mission335. La question des moyens apportés est importante pour le Conseil qui veut aider toutes les missions sans distinction et éviter des cas d’injustice et d’inégalités. Mais la réponse est souvent déformée. Ainsi, par exemple, les comptes de Mgr Augouard, v.ap. de l’Oubangui, peuvent changer :

Tableau 14 : Les ressources de l’Oubangui, vers 1900, archives personnelles
Année Propagation de la Foi Sainte-Enfance Don extérieur Propagande Ecoles Dons divers
Gouvernement ?
1901 30.000 15.500 34.000 28.950 5.000 4.800
1903 30.000 18.000 19.000 20.000 5.600 2.853
1905 32.000 17.000 21.900 20.000 8.950 3.100
Tableau 15 : Les mêmes ressources, déclarées à l’Œuvre
Année Propagation de la Foi Sainte-Enfance Don extérieur Propagande
Ecoles Dons divers
Gouvernement ?
1901 - 25.000 - Rien de certain - -
1903 - 25.000 5.000 Rien d’assuré  3.600 5.600
1905 - 25.000 7.000 9.995 4.900 2.000

La comparaison appelle plusieurs remarques : tout d’abord, la mission dispose de nombreuses sources de financement. Les fonds privés sont importants car Augouard multiplie toutes les formes de mobilisation, comme le montrent ses publications, savamment diligentées depuis Brazzaville et relayées par son frère, le chanoine Augouard338. Les sommes qu’il en retire, considérées à titre privé, sont tues au moment du décompte. Les dons apportés par la Sainte-Enfance sont systématiquement supérieurs à ceux effectivement perçus. Est-ce une manière d’encourager l’Œuvre de la Propagation de la Foi à s’aligner sur l’organisation jumelle ? A l’inverse, les sommes de la Propagande sont soit incertaines, soit déclarées inférieures à celles effectivement perçues. L’Œuvre ne connaît pas ces sommes car les finances de la Propagande n’ont de compte à rendre à personne et Augouard profite de cette discrétion pour minimiser l’aide de Rome. Au total, les sommes comptabilisées peuvent être très différentes : en 1901, Augouard déclare 25.000 francs mais semble avoir bénéficié de plus de 85.000 francs. En 1903, les sommes respectives sont de 39.000 et 65.000, en 1905 de 49.000 et 70.000. Parmi tous ces chiffres, un seul est pratiquement connu de tous, annoncé publiquement : c’est l’allocation qu’accorde chaque année l’organisation lyonnaise, ce qui lui vaut souvent des réactions parmi les bénéficiaires339.

Toutefois, l’information qui suscite le plus de vigilance est le nombre de chrétiens, placé en vedette du rapport parce qu’il résume à lui seul toute l’action de la mission. C’est le point de mire qui renseigne sur la santé et l’efficacité de la mission. Comparé aux années antérieures, il est censé augmenter pour prouver la marche de l’évangélisation. Or, la consultation de statistiques portant sur plusieurs années laisse apparaître des exagérations dans le décompte :

Tableau 16 : Statistiques adressées à l’Œuvre, Gabon, 1893-1923
Année Catholiques (a) Hérétiques (b) Infidèles Responsable
1893 7.786 1.500 ? Nombre inconnu Le Roy
1894 8.565 2.000 ? 4 ou 5 millions
1895 9.420 1.800 à 2.000 4 à 5 millions
1896 10.078 2.000 à 2.500 4 à 5 millions Adam
1897 10.795 4 à 5.000 4 à 5 millions
1898 11.482 4.000 environ 4 à 5 millions
1899 12.055 4.212 4 à 5 millions
1900 12.398 3.461 4 millions env.
1901 12.845 3.000 environ 4 à 5 millions
1902 13.238 4.000 ? 4 millions env. Adam
1903 13.349 3.500 ? 2 millions
1904 13.110 4.000 ? 10 millions
1905 13.341 4.000 ? 6 millions
1906 14.354 4.000 ? 10 millions
1907 14.939 4.000 ? 10 millions
1908 15.476 4.000 ? 10 millions
1909 16.574 4.000 ? 10 millions
1910 La pirogue du RP Adam a chaviré emportant tous ses papiers341
1911 17.694 4.000 environ 10 millions
1912 18.369 4.000 environ 10 millions
1913 19.022 4.000 environ 8.000.000
1914 19.450 405.000 env. 2.000.000 Martrou
1915 14.221 5 à 6.000, 5 stations -
1916 13.587 env. 5.000, 5 missions -
1917 13.088 2 ou 3.000, 5 stations -
1918 13.881 env. 5.000, 5 stations -
1919 14.858 6.500 ?
1920 14.255 5 stations -
1921 14.121 5 à 6.000, 5 stations -
1922 Pas de rapport dans les archives cette année
1923 16.037 env. 7.000, 5 stations env. 250.000

Le nombre des catholiques (a) ne fait qu’augmenter, à de rares exceptions. C’est le cas entre 1903 et 1904 . C’est plus fréquent lors d’un changement de responsable : quand Mgr Martrou succède à Mgr Adam, il retranche près de 5.000 catholiques, geste qu’il justifie, un peu gêné, au nom d’un recensement différent, sans doute plus proche de la réalité. Il faut noter que les stations concédées par le Gabon aux autres V.A. voisins, comme Lastourville en 1899 ou Bata en 1903, ne signifient pas moins de catholiques. On craint qu’une baisse des effectifs ne se traduise par une diminution de l’allocation.

Les effectifs des hérétiques (b) sont mal connus, comme le montrent les valeurs approximatives, parfois suivies d’un point d’interrogations, qui contrastent avec la communauté catholique recensée avec précision. Dès 1915, Mgr Martrou ajoute le recensement des stations protestantes, ainsi que leur nationalité. A cette époque, la présence des missionnaires évangéliques est mieux connue. Information autrefois occultée, elle est devenue nécessaire pour mieux combattre l’hérésie. Ce recensement annonce les plans de bataille qu’échafaudent les missionnaires dans les années 1920 contre l’infiltration protestante.

Les infidèles (c) constituent l’étendue de la mission, évaluée numériquement. Ce sont les populations que le missionnaire peut, à terme, espérer évangéliser. C’est l’information la plus mal connue, mais aussi celle qui peut justifier les efforts. Un Gabon, peuplé de 30 millions d’âmes, comme l’estimait le RP Bessieux vers 1865342, c’est la France ! Le chiffre est ensuite reporté d’une année sur l’autre ; seul un nouveau Supérieur revoit le résultat à la baisse. Pourtant, les nombreux voyages d’exploration, d’ailleurs très nombreux dans cette mission en raison de l’accès qu’elle procure au Congo, devraient mieux la faire connaître. En définitive, cette information reste très générale. Il faut attendre 1923 et cette note de Mgr Martrou jointe au nombre 250.000, « pas de recensement sérieux », pour saisir les conditions de l’énumération, qui se rapproche de la réalité. La réduction du V.A. et sa parcellisation en plusieurs champs de mission expliquerait cette baisse. Mais la chronologie des modifications ne correspond pas à la révision du résultat. Ainsi, pendant plus de 60 ans, les missionnaires ont renvoyé l’image d’un Gabon peuplé de plusieurs millions de païens.

L’exemple du Gabon n’est pas isolé. Il résume au contraire plutôt fidèlement la méthode utilisée pour rendre compte de l’apostolat en Afrique et ce quelque soit la congrégation en charge. D’autres sondages portant sur le Congo belge343, le Congo français344, le Haut-Congo345, le Tanganyka346 ou encore l’Ounyanyembé347 rapportent les mêmes informations : des catholiques comptabilisés avec précision et en augmentation ; des protestants peu connus, mais dont les stations suscitent un intérêt croissant ; des populations locales envisagées par millions, avec quelques nuances parfois348.

- Les rapports adressés à la Propagande

Les documents envoyés à Rome témoignent du même souci d’informations. Les questionnaires habituels visent à renseigner le plus complètement possible la Propagande sur l’état de la mission et selon une relation fréquente. Les questionnaires quinquennaux portent depuis 1877 sur 63 aspects de la mission349. En privilégiant le texte sur les chiffres, les explications sur les estimations, ils fixent un cadre rigoureux et stable. Claude Prudhomme a montré qu’ils permettaient à la Propagande de contrôler l’action missionnaire en définissant aussi un cadre pastoral. Les relations annuelles sont plus courtes et se résument souvent à des statistiques. Mais plus libres que les précédentes, elles traduisent mieux la perception qu’ont les missionnaires de leur mission. Elles nécessitent de la part des responsables de mission d’effectuer une tournée pour recueillir toutes les informations de chaque station.

- Les rapports adressés à la Congrégation

Avant tout, le missionnaire renseigne sa propre congrégation. Elle l’a formé et veut conserver un contact quasi exclusif avec lui, malgré la distance et malgré l’autorité romaine dont dépend le Supérieur de chaque mission. En 1860, le Bulletin général des Spiritains décide que..

« tous les rapports et compte-rendus, lettres adressées soit à la Propagation de la Foi, soit à la Sainte-Enfance, soit à l’œuvre apostolique, ou à quelque autre œuvre que ce soit, doivent être expédiés et envoyés, non pas directement et immédiatement à l’œuvre elle-même, mais bien par l’intermédiaire de la Maison-mère, pour que celle-ci puisse en prendre connaissance et ainsi se tenir au courant des besoins des diverses missions qu’elle est appelée à représenter et être à même de soutenir et défendre leurs intérêts près des différentes administrations »350.

Il est surtout précisé que..

« il ne faut pas se contenter d’envoyer à la Maison-mère quelques notes plus ou moins générales, en laissantà celle-ci le travail et le soin de la rédaction ; mais il faut au contraire les envoyer achevés autant que possible (..) Les lettres venant ainsi des missions et écrites de la main même des missionnaires inspirent aux administrateurs plus d’intérêt et leur sont plus agréables qu’une simple copie ou un rapport fait en France sur de simples notes. Chaque mission doit prendre et garder note exacte et fidèle de tous les compte-rendus, rapports, lettres qu’elle envoie »351

Cette mesure vise à renseigner avec précision et régularité la congrégation sur la conduite de la mission. Elle établit un lien privilégié entre le missionnaire et la congrégation, et prioritaire sur celui qui le rattache aux autres bases arrières que sont les bailleurs de fonds ou l’autorité de la Propagande. Ainsi, quand celles-ci adressent leurs questionnaires, la congrégation réagit en rationalisant sa collecte d’information et en l’étoffant. Pour satisfaire ces demandes, la congrégation s’adapte et forme son personnel à la tenue de registres statistiques, qu’ils lui adressent, régulièrement (Cf. Annexe 11 : une année d'apostolat au Gabon ). Pour chaque station sont comptabilisées les données habituelles, ainsi que toutes les actions effectuées par les missionnaires, comme le rachat d’esclaves, le soin aux malades, les sacrements, soit, en tout, plus de 300 informations statistiques. Cette disposition invite aussi à comparer les stations entre elles, non pas dans un souci de compétition mais plutôt d’organisation. Il s’agit d’établir le bilan d’une année d’apostolat au Gabon, la campagne apostolique, par une image à la fois complète et précise de toute l’œuvre menée dans le vicariat. Ce document témoigne d’une démarche de centralisation demandée par la congrégation. Mais, parce qu’il présente l’image positive d’une évangélisation qui progresse, il est transmis à l’Œuvre, sans doute à des fins publicitaires. La congrégation dispose donc de renseignements plus importants et plus précis que les autres organisations.

Pour parfaire l’organisation du recensement, la congrégation des Spiritains organise après 1900 une visite provinciale. Moins statistique et plus proche du questionnaire quinquennal adressé à la Propagande, son compte-rendu dresse un formulaire de toute l’attitude pastorale que sont censés adopter les missionnaires (Cf. Annexe 12 : compte-rendu d'une visite provinciale ), comme l’indique l’en-tête :

« Le Supérieur Provincial, Vice-Provincial ou Principal doit faire chaque année la visite des Maisons dont il a la charge. Chaque Maison visitée donne lieu à un compte-rendu à envoyer à la Maison-Mère, le visiteur en conserve le double.- Un registre des visites est ouvert dans chaque Maison : le Visiteur y laissera par écrit ses recommandations et en vérifiera l’exécution dans la visite suivante.- Ce questionnaire n’est pas limitatif : on peut ajouter d’autres questions, répondre directement aux numéros d’ordre, ou donner à chaque titre des réponses d’ensemble352 ».

L’administration, la discipline, les Œuvres et ministère, puis quelques recommandations finales composent ses rubriques. Les questions posées impliquent la conduite d’un apostolat uniforme obligeant au niveau local chaque groupe à épouser la ligne fixée par la Maison-Mère. Au niveau administratif, le fait que chaque maison ou station conserve ses archives prouve la volonté d’uniformisation et de centralisation, facilitant la collecte d’informations.

L’impératif cartographique : du catalogue à l’instrument d’apostolat

Au départ, la congrégation, au nom d’une collecte d’informations pour mieux connaître les pays qui lui ont été confiés, exige que tous les écrits les concernant lui soient envoyés. C’est par exemple la disposition que rappelle le Bulletin général des Spiritains en 1862 :

« les cartes géographique des colonies et pays de missions évangélisés par l’Institut, ainsi que les plans de communautés et autres dessins de ce genre qui sont de nature à intéresser (..)

Il n’est pas nécessaire sans doute de faire observer que l’on doit prendre soin à ce que les cartes et plus soient aussi exacts que possible et que l’on doit y ajouter de plus toutes les indications convenables »353.

Le désir de produire un catalogue ou un album, pour contribuer à la formation des futurs missionnaires ou tout simplement « pour suivre par la pensée dans leurs travaux et leurs excursions apostoliques ceux de nos confrères qui sont éloignés et se faire une idée plus exacte des divers établissements où ils sont employés »354, sont les motivations invoquées. La congrégation reçoit donc régulièrement des cartes de ses missionnaires. Puis, progressivement, le document cartographique change de statut. Associé aux statistiques, il représente l’espace de la mission, le cadre où l’on compare les objectifs et les moyens, où l’on recense les progrès et les obstacles. La carte établit le rapport entre le territoire confié par la Propagande et les moyens mis à disposition par la congrégation. Ainsi, l’obligation de tenir des registres et d’envisager la mission en gestionnaire expliquent pourquoi les cartes constituent un impératif355.

Les cartes sont alors exigées par les congrégations, comme le prouve le formulaire de visite provinciale356.( Cf. Annexe 12 : Compte-rendu d’une visite provinciale ) A la troisième page, à propos de la station, il est demandé si la carte du district a bien été faite. Le Supérieur en visite ne doit pas forcément en envoyer une copie mais s’assurer qu’elle existe, c’est-à-dire que les missionnaires de la station ont bien représenté leur environnement et adopté une approche spatiale de l’évangélisation. Au passage, il faut noter que ces visites provinciales ont l’effet de produire deux types de cartes : le premier, à l’échelle locale du district, reste dans chaque station. Le second, à l’échelle plus petite de la mission, est dessiné occasionnellement, quand le Supérieur juge utile de rapporter sur papier l’itinéraire pour visiter ses stations. De telles cartes sont publiées par les Missions catholiques car elles présentent une image globale de la mission, avec ses différentes stations. Elles définissent la « mission effective », c’est-à-dire les points véritablement évangélisés, que le lecteur peut comparer avec l’étendue de la « mission institutionnelle ».

Le passage d’une cartographie illustrative, qui inventorie toutes les misions, à une cartographie plus utilitaire, dévouée à l’évangélisation, reste difficile à dater. Aucun article n’y fait référence, que ce soit dans les revues grand public ou celles réservées à chaque congrégation. Le mouvement s’effectue lentement, entre les années 1860 et 1900, à mesure que progressent la missiologie et le désir de rendre plus efficace l’apostolat. Faire dresser la carte de la station et ses environs par les missionnaires, c’est leur faire prendre conscience de l’étendue de l’œuvre qu’il s’agit inévitablement de comparer aux moyens. C’est relayer auprès de chacun la responsabilité du v.ap. sur l’espace qui lui a été confié. Grâce à sa tournée apostolique, il collecte les informations qui lui permettent d’organiser l’évangélisation à l’échelle de la mission toute entière. Il doit adopter une gestion spatiale de la mission. Dès 1902, le v.ap. du Gabon, Mgr Adam, rend compte de cette gestion à l’Œuvre de la Propagation de la Foi, carte à l’appui :

« D’après la carte ci-jointe, vous constaterez que nos efforts se sont portés jusqu’à présent sur la partie la moins peuplée du vicariat. La partie n°1 (crayon bleu) n’a que 600.000 âmes environ, la partie n°2 en a un million et demi ; la partie n°3, huit millions. Missionnaire, puis-je rester sans émotion devant ces nombreuses populations qui peuplent le nord de mon vicariat. J’ai donc supprimé la petite station du Cap Esterias que les stations voisines peuvent desservir assez convenablement pour nous porter sur les frontières de la partie nord restée jusqu’à présent inaccessible. Là, nous attendrons l’heure de la Providence. Les protestants ont commencé par y pénétrer par l’Okano où ils se sont installés à grands frais et d’où ils lancent leurs catéchistes vers le nord. Bien que les temps et les circonstances autorisent à traiter ce projet de folie, je suis résolu à risquer cette folie de la croix et de la Foi. Le 2 juillet un Père et un Frère sont partis pour l’Abanga »357.(cf : Carte du V.A. du Gabon  )

Cette gestion spatiale rejoint ce que Libermann nommait le « plan de campagne ». Près de 60 ans plus tard en 1906, Mgr Le Roy alors à la tête de la congrégation le justifie :

« Le missionnaire -chef de mission surtout- doit se faire un plan de campagne (..) il a des moyens limités et ne dispose généralement que d’un personnel restreint. On ne peut occuper toute une région. Il faut donc choisir, et, pour choisir, il faut des reconnaissances, des voyages, des études, des comparaisons »358.

La carte sert à localiser les forces et faiblesses de la mission, à projeter une stratégie. Parce qu’il est question de territoire, elle devient le support indispensable au plan d’évangélisation, rationnel, méthodique, que le vicaire va devoir faire admettre à ses missionnaires.

Notes
335.

Figurent dans le volet « Ressources » les autres aides que reçoit la mission. Dans notre exemple, la mission de Côte d’Ivoire estime avoir reçu 2.000 F de la Sainte Enfance et 18.000 F de la Propagande. Pour couvrir les 60.000 F de dépenses, la différence est implicitement la somme demandée à l’Œuvre.

336.

Archives OPM, Fonds Augouard, Boîte VIII, Dossier 18, « Recettes du V.A. du Congo français », K 01269.

337.

Archives OPM, G-38 Congo français, « Rapport général des recettes et dépenses », années 1901 à 1905.

338.

Augouard fait parvenir à son frère de très nombreuses lettres mais la linéarité de la correspondance est assurée par un codage. En effet, elles ne parviennent pas forcément dans l’ordre d’envoi car le missionnaire utilise toutes les messageries maritimes qui passent par Linzolo.

339.

Consulter les archives OPM des relations avec les congrégations : par exemple I-83 Spiritains.

340.

Archives OPM, G-67 Gabon, Statistiques extraites des rapports habituels, 1893-1923.

341.

Mgr Adam explique avoir perdu trois années de statistiques de l’ensemble des stations, documents qu’il avait emportés « afin de comparer et apprécier sur place les résultats obtenus ». Mais après quatre heures de plongée, les meilleurs nageurs ne remontèrent qu’un lit de camp et quelques boîtes de commissions. Adam demande aux Supérieurs de stations de lui faire parvenir une copie des comptes de chaque station. Archives OPM, G-67 Gabon, « Rapport général des recettes et dépenses », 1910, G 05823.

342.

Archives OPM, G-67 Gabon, « Rapport général des recettes et dépenses », années 1865 à 1872.

343.

Archives OPM, G-37 Congo belge. Série statistique extraite des rapports envoyés par Mgr Van Ronslé, de 1895 au partage de la mission en 1919.

344.

Archives OPM, G-38 Congo français. Série statistique extraite des rapports envoyés par Mgr Carrie puis Derrouet, ininterrompue de 1886 jusqu’au partage de la mission en 1906.

345.

Archives OPM, G-39 Haut-Congo. Série statistique extraite des rapports envoyés par les RRPP Coulbois puis Roelens, de 1888 à 1922.

346.

Archives OPM, G-119 Tanganyka. Série statistique extraite des rapports envoyés par les RPBridoux puis Lechaptois, de 1888 à 1918.

347.

Archives OPM, G-108 Ounyanyembé. Série statistique extraite des rapports envoyés par les RPGerboin puis Leonard, de 1892 à 1922.

348.

Elles portent surtout sur la première colonne et le décompte des catholiques. Au Congo belge, on distingue les Européens qui représentent encore un quart de l’effectif total vers 1900. Au Congo français, on recense les catéchumènes. Au Haut-Congo, comme au Tanganyka, ou dans l’Ounyanyembé, toutes confiées aux Missionnaires d’Alger, les statistiques envisagent deux catégories : baptisés et catéchistes.

349.

La liste des critères figure dans Collectanea 1907, « Capita quibus respondere debent Vicarii Apostolici ac Missionum Praefecti ut de regionibus sibi commissis plenam Sacrae Congr. Relationem reddant », n°1473, 1877, pp.109-112. Claude Prudhomme en propose une traduction dans sa thèse, Stratégie missionnaire , op. cit., Chapitre 8 : Questionnaires, rapports et contrôle de l’action missionnaire.

350.

Bulletin général de la congrégation, « Lettres et rapports à envoyer », t.II, 1860, p.409.

351.

Ibidem.

352.

Archives spiritaines, Dossier Angola, 3L1.12a10, Compte-rendu de visite provinciale, Huilla, 30 avril 1910.

353.

Bulletin général de la congrégation, t.III, 1862,p.136. Aucune précision n’identifie les « indications convenables » prévues par le Bulletin.

354.

Ibi dem .

355.

Le passage d’une cartographie qui satisfait les esprits curieux ou montre les explorations à une cartographie utilitaire à des fins d’évangélisation est difficile à dater. Aucun article n’y fait référence, que ce soit dans les revues missionnaires grand public ou auprès des archives des congrégations. Le mouvement s’effectue lentement, à mesure que l’on découvre le territoire.

357.

Archives OPM, G-67 Gabon, « Rapport général des recettes et dépenses », 1904, G 05795. «  Carte du V.A. du Gabon  », 1903, G 05794.

358.

Mgr LEROY, « Le rôle scientifique », op. cit.,p.5.