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4. Des organochlorés aux organophosphorés

En 1957, les résultats des traitements sont satisfaisants pour l’ensemble du territoire national. Les arsenicaux, le DDT et le Lindane sont alors les produits majoritairement utilisés. Dans certaines circonscriptions, comme celle de Marseille, des ramassages manuels s’effectuent encore dans les jardins familiaux. Les dégâts des doryphores sont négligeables558. Bien qu’aucun cas de résistance ne soit alors consigné dans les résultats d’enquête de l’O.E.P.P.559, la réalité pratique semble quelque peu différente. Dans les Deux-Sèvres, des plaintes provenant de certains exploitants sont adressées dès 1957 au contrôleur du S.P.V. ainsi qu’au Président de la Fédération départementale des groupements de lutte contre les ennemis des cultures. Dans un premier temps, le S.P.V. considère qu’il s’agit d’une altération du produit dû à un stockage défectueux. Après quelques années d’observation, le contrôleur local se rend compte de l’inefficacité réelle du DDT (utilisé sous la dénomination commerciale Gésarol)560. Moins de dix ans plus tard, la situation nationale devient critique. Deux choix s’offrent alors aux cultivateurs.

La première possibilité consiste à augmenter la dose de matière active répandue soit lors d’une application, soit en multipliant les épandages. Cette solution ne possède qu’un caractère temporaire et, loin de contourner la résistance d’un ravageur, elle permet au contraire, à très court terme de renforcer l’inefficacité d’une substance. Il nous est cependant fort difficile de repérer avec exactitude ce type de comportement. La circonscription de Clermont-Ferrand indique en 1966 que les cultivateurs épuisent les stocks d’organophosphorés dès le mois de juin et utilisent ensuite d’anciens produits, en particulier les arséniates. Ce fait, allié à l’inefficacité remarquée du DDT et du lindane permet de conclure qu’une partie au moins des agriculteurs de cette circonscription se livrent à des traitements nombreux. D’autres circonscriptions, comme celle de Montpellier, soulignent, également en 1966, que les traitements sont très rapprochés. D’autres indications évoquent plus clairement encore ce type de comportement phytosanitaire. En cette même année 1966, la seconde génération de doryphores de la région de Bordeaux, est, en certaines zones, soumise à des épandages répétés alors que le climat de l’année semble plutôt défavorable au développement de ces insectes. Il est possible que le climat desserve les opérations d’éradication mais, le fait que de nombreux cas de résistance soient avérés dans la circonscription de Bordeaux indique clairement que les cultivateurs réalisent des traitements plus nombreux pour contrer les phénomènes de résistances561.

La seconde alternative offerte aux exploitants consiste à opérer un changement de matière active. Ce phénomène s’observe dans le département des Deux-Sèvres, que nous avons cité précédemment comme l’un des premiers territoires confrontés à la résistance des doryphores. Dans les localités touchées par ce phénomène, les cultivateurs, suivant en cela les recommandations du S.P.V. et de la Fédération départementale des groupements utilisent d’autres substances agropharmaceutiques. Les insecticides à base de lindane, de toxaphène ou d’aldrine, ainsi que des associations (Lindane et DDT) supplantent rapidement le Gésarol. La circonscription de Lyon indique, en 1966, l’abandon progressif du DDT au profit d’autres substances organochlorées (Lindane, dieldrine), de carbamates (Carbaryl) ou de triazines organophosphorées (azinphos éthil et azinphos méthyl)562. De même, la majorité des cultivateurs de la circonscription d’Angers remplace le DDT par le lindane et le toxaphène dès le milieu des années 1960563. L’alternance des matières actives constitue la principale parade à la résistance des doryphores. Le tableau ci-après (n° 16) indique, par circonscription phytosanitaire S.P.V., les substances majoritairement épandues en 1968 ainsi que les phénomènes de résistance observés au sein de chaque circonscription564. Cette date s’inscrit dans une période charnière de l’histoire de la résistance des doryphores aux organochlorés. En effet, outre les produits induisant une résistance à cette époque, qui sont par ailleurs toujours utilisés dans les lieux où les cultivateurs ne constatent aucune baisse d’efficacité, nous pouvons constater l’application généralisée de certains organophosphorés et de carbamates.

Tableau n° 16. Principales matières actives utilisées en France dans la lutte contre les doryphores et substances induisant une résistance en 1968.
Tableau n° 16. Principales matières actives utilisées en France dans la lutte contre les doryphores et substances induisant une résistance en 1968.

La résistance des doryphores ne s’applique pas avec la même intensité dans l’ensemble d’une circonscription. Ainsi, la résistance au DDT, au Lindane et à la Dieldrine est constatée par le S.P.V. de Clermont-Ferrand antérieurement à 1968, mais le phénomène est particulièrement marqué dans les départements de l’Allier et du Puy-de-Dôme565.

Le comportement des cultivateurs, modifie bien souvent les équilibres commerciaux. En effet, lorsque les traitements sont réalisés dans de bonnes conditions et témoignent d’une certaine habitude, les agriculteurs sont les premiers témoins des modifications d’efficacité liées aux épandages. Ainsi, un négociant en produit phytosanitaire de Montbert (Loire-Atlantique) ne vend plus de produit à base de DDT et de Lindane depuis 1964 car les producteurs de pommes de terre de son secteur d’activité adoptent d’eux-mêmes l’azinphos. Cette dernière matière active remplace les substances devenues inefficaces566. L’azinphos, organophosphoré, permet donc aux cultivateurs d’éliminer, pour un temps, les difficultés engendrées par l’emploi généralisé des organochlorés. Cependant, lorsqu’un produit est remplacé par une matière active de la même famille chimique, phénomène lié aux substances proposées par l’industrie, le répit est généralement de courte durée. L’un des contrôleurs du S.P.V. de Poitiers note, à propos des matières actives organochlorées de remplacement, : « Après une période d’efficacité plus ou moins longue, les mêmes échecs ont été constatés avec ces nouveaux produits »567. Dès lors, dans les Deux-Sèvres, le S.P.V ainsi que la Fédération des groupements de défense des cultures préconisent l’arséniate de chaux « dont l’efficacité n’a jamais varié après plus de quarante-cinq années d’utilisation ».

Notes
558.

A.N.-F., 5 SPV 188, Enquête O.E.P.P. de 1957.

559.

A.N.-F., 5 SPV 188, Enquête O.E.P.P. de 1957

560.

A.N.-F., 5 SPV 37, Rapport n° 593, Service de la protection des végétaux, Inspection de Poitiers, Note sur l’efficacité des produits utilisés contre le Doryphore. (Note signée par J. Pineau, Contrôleur S.P.V.)

561.

A.N.-F., 5 SPV 188, Enquête O.E.P.P. de 1966

562.

A.N.-F., 5 SPV 188, Enquête O.E.P.P. de 1966

563.

A.N.-F., 5 SPV 188, Réponse de la circonscription d’Angers à l’enquête O.E.P.P. de la campagne 1966

564.

A.N.F., 5 SPV 188, Synthèse simplifiée des réponses envoyées au Chef du S.P.V. par les circonscriptions phytosanitaires entre le 20 décembre 1968 et le 15 février 1969. L’ensemble est destiné à l’O.E.P.P.

565.

A.N.-F., 5 SPV 37, Lettre de l’inspecteur de la Protection des végétaux de Clermont au chef du S.P.V., 28 octobre 1967

566.

A.N.-F., 5 SPV 37, Lettre de l’inspecteur régional de la Protection des végétaux destinée au chef du S.P.V., 1er décembre 1967

567.

A.N.-F., 5 SPV 37, Rapport n° 593, Service de la protection des végétaux, Inspection de Poitiers, Note sur l’efficacité des produits utilisés contre le Doryphore. (Note signée par J. Pineau, Contrôleur S.P.V.)