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1.3. Traiter : une habitude à prendre

Dans de nombreux cas, les scientifiques agricoles présents lors du congrès de 1934 insistent sur l’intérêt d’habituer les cultivateurs à traiter régulièrement leurs cultures. La lutte contre le doryphore permet d’en comprendre la nécessité.

Au début de la décennie 1930-1940, les cultures de pommes de terre représentent environ 7 % de la surface labourée française soit 1 500 000 hectares. Fin 1933, la présence des doryphores est signalée dans 39 départements1404. Un an plus tard, 58 préfectures doivent faire face à ce fléau1405. La progression des chrysomèles américaines, traduisant l’insuccès des tentatives d’éradication dans les zones anciennement envahies, amène Feytaud à proposer un épandage contre le doryphore réalisé par habitude et à la charge des cultivateurs. En effet, comme le souligne l’Inspecteur général Gay, chargé de la direction des services de défense des végétaux, la lutte est conduite directement par les soins du Ministère de l’agriculture, la grande majorité des dépenses étant assumée par l’Etat. Ainsi, « en raison de la loi de généralisation, et de l’extension du doryphore, il n’est pas possible que, jusqu’à la consommation des siècles, le Ministère assume pareille tâche »1406. Les cultivateurs possédant, grâce aux arsenicaux, des moyens de lutte efficaces, Jean Feytaud souhaite une modification des comportements phytosanitaires dans les départements massivement envahis. « Il faut y organiser d’ores et déjà les traitements d’entretien de l’avenir, qui doivent viser simplement à obtenir de bonnes récoltes malgré la présence du ravageur »1407.

Mais, le réalisme de Jean Feytaud ne fait pas l’unanimité parmi les professionnels. Monsieur Turbat, originaire du Loiret, département dont la D.S.A. et les syndicats de défense réussissent à enrayer quelque peu la progression des doryphores, critique sévèrement l’opinion émise par le Directeur de la station entomologique de Bordeaux. S’exprimant au nom de la Confédération nationale des groupements horticoles de France, E.Turbat considère qu’il convient de lutter contre le fatalisme et que les pouvoirs publics comme les producteurs doivent éradiquer les doryphores. La raison tient dans la crainte d’une condamnation généralisée de toutes les productions françaises par les autres états1408. La fermeture des frontières est d’autant plus rapide qu’il s’agit souvent d’un prétexte destiné à assurer une politique protectionniste (Grande-Bretagne ou Etats-Unis). Pourtant, l’invasion de l’ensemble de l’Europe par les doryphores paraît, dès le début des années 1930, inéluctable. Quant à l’éradication, Feytaud la considère comme impossible puisque ce coléoptère se nourrit de nombreuses autres plantes cultivées ou sauvages (tomate, aubergine, morelle, datura, belladone…). Ainsi, « la suppression totale de la pomme de terre en Europe, en admettant qu’elle fut possible, ne suffirait pas pour en faire disparaître le doryphore ». Dès lors, les scientifiques attendent que l’aire de répartition de ce ravageur couvre l’Europe. Ils espèrent alors que l’ensemble des nations concernées considère comme possible la destruction annuelle des doryphores.

Bien que le doryphore constitue une menace pour l’agriculture de l’Entre-Deux-Guerres, de nombreux autres déprédateurs sont susceptibles d’être combattus de manière régulière, seule méthode capable d’enrayer leur pullulation. Ainsi, « Le Black-rot ou l’anthracnose de la vigne ont disparu de beaucoup de localités sous l’action des traitements cupriques répétés, exécutés contre le mildiou, opérations qui, au début, avait paru insuffisantes ou sans effet »1409.

Bien qu’il soit indéniable que les épandages répétés possèdent une action salvatrice pour les cultures, les praticiens, malgré les gains potentiels, ne suivent pas toujours les conseils des services agricoles ou des organisations professionnelles. Concernant la lutte contre les tavelures, fondée essentiellement sur des traitements coïncidant avec les stades phénologiques de la plante, Gabriel Arnaud considère qu’il convient d’envisager trois passages en prenant comme repère la floraison. Il affirme que trois traitements permettent, en région parisienne, de protéger les variétés les plus sensibles comme, par exemple, le poirier Doyenné d’hiver. L’orateur ajoute : « Mais vous savez combien il est difficile d’obtenir que les horticulteurs fassent un traitement ; il est donc d’autant plus difficile qu’il en fasse trois »1410. La généralisation d’un tel comportement phytosanitaire ne doit pas être opérée. Un arboriculteur condamne les propos de G. Arnaud en expliquant simplement qu’occasionnellement les horticulteurs ne sont pas en mesure d’effectuer la protection des vergers. La réponse de l’orateur indique qu’il convient de différencier les fruits de luxe de la région parisienne de ceux des autres zones productrices et que les étales des marchands prouvent un déficit des traitements.

Notes
1404.

Jean FEYTAUD, « La question doryphorique au début de la campagne 1934 » [première partie], dans Revue de zoologie agricole et appliquée, janvier 1934, pp. 1-16

1405.

Jean FEYTAUD, « La question doryphorique au début de la campagne 1935 » [première partie], dans Revue de zoologie agricole et appliquée, avril 1935, pp. 49-68

1406.

Jean FEYTAUD, « La lutte contre le doryphore », dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome II, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 71-84 [Intervention de Gay pp. 78-79]

1407.

Jean FEYTAUD, « La lutte contre le doryphore », dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome I, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 15-21

1408.

Jean FEYTAUD, « La lutte contre le doryphore », dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome II, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 71-84 [Intervention de E. Turbat pp. 72-75].

1409.

Gabriel ARNAUD, « Les maladies des arbres fruitiers à pépins », dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome I, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 139-147

1410.

Gabriel ARNAUD, « Les maladies des arbres fruitiers à pépins », dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome II, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 121-126